Par Laurent Coppin
Dovrefjell
Le domaine des bœufs musqués
Ovibos Mochatus ou l'histoire d'un rescapé de la préhistoire. Pour l'observer il faut se rendre dans l'arctique canadien , sur la terre de Banks par exemple, ou au Groenland. Mais s'y rendre n'est pas chose facile et ne s'improvise pas. Par contre il existe un endroit en Europe où le rencontrer est plus facile : le massif de Dovrefjell en Norvège.
L'idée de m'y rendre commence à germer dans mon esprit et je propose à Pascal, un ami professeur de biologie et amoureux du grand nord, de m'accompagner. Sa décision fut vite prise. La période : l'hiver. Il ne restait qu'à trouver l'année.
Nous sommes partis de la baie de Somme, notre refuge lorsque nous ne sommes pas l'un comme l'autre en quête de nouveaux espaces à explorer, le 21 février 2015 pour deux semaines. En 4X4 avec la cellule, il faut deux jours et demi pour rallier Kongsvoll, l'une des entrées qui mène au domaine de l'Oomingmak, autrement dit "le barbu" comme le surnomme les inuits.
Le bœuf musqué je l'ai côtoyé de nombreuses fois sur la Terre de Banks mais pouvoir de nouveau le retrouver à seulement 2500 km de la maison et une véritable opportunité.
Le parc de Dovrefjell–Sunndalsfjella représente une superficie de 1 830 km2. Il a été créé en 2002 en remplacement du parc de Dovrefjell créé lui en 1974. Le parc est constitué de différents milieux tels que des tourbières luxuriantes, des montagnes dénudées, ainsi que de vastes plaines de toundra et des forêts de bouleaux sur la partie basse du parc. Le point culminant est le mont Snohetta qui culmine à 2286 mètres. Le parc se trouve à 350km au nord de Oslo et est accessible par le route numéro 6 qui traverse toute la Norvège du nord au sud.
Le bœuf musqué était déjà présent dans cette région il y a 30 000 ans, mais a disparu lors de la fin de la dernière glaciation. Lors de la construction de la voie de chemin de fer dans les années 1900, on a retrouvé des os qui ont été identifiés comme étant ceux d'un bœuf musqué. Dans les années 30 une première tentative de réintroduction a été menée. Bien que prometteuse au début, le troupeau a été décimé lors de la seconde guerre mondiale. Ce n'est qu'au début des années 50 qu'un nouvel essai est couronné de succès. D'une dizaine d'individus au moment de la réintroduction, la population est maintenant estimée entre 200 et 250 animaux. L'enclos où ont été parqués les bœufs musqués avant qu'ils ne soient relâchés est encore visible lorsqu'on prend le chemin qui mène à la Snohetta. Mais aujourd'hui avec les dérèglements climatiques, la survie des bœufs musqués du parc n'est pas garantie. Les températures sont en constante augmentation et ce rescapé des temps anciens pouvant supporter des températures de -40 ne pourra survivre bien longtemps dans ces conditions si le climat continuait de se dérégler.
La Snøhetta
Enclos des boeufs musqués avant d'être relachés
Nous sommes arrivés à Kongsvoll, au pied de l'un des l’accès au parc, le 23 février à 19h. Trop tard pour grimper en altitude, nous décidons de passer une nuit supplémentaire à l'abri dans la cellule du 4x4 puis de démarrer tôt le lendemain matin.
La montée sur le plateau, bien que relativement courte, n'est pas une partie de plaisir. Tracter la pulka chargée de tout le matériel sur ce raidillon qui ne dépasse pas 1,5km s'avère une dure épreuve physique, même en nous y mettant à deux. Il y a d'autres endroits plus praticables pour accéder non loin de la Snohetta, mais certains cours d'eau risquent de ne pas être gelés dans leur totalité ce qui pourrait entraver notre progression.
Une fois sur le plateau, il ne nous reste plus qu'à trouver l'emplacement idéal pour nous permettre de rayonner facilement.
Après quelques hésitations, l'endroit est choisi à l'abri des vents. Pendant que j'installe le campement Pascal a déjà localisé une groupe de mâles sur les hauteurs, malgré une visibilité réduite. Le temps commence à se dégrader avec des rafales qui deviennent plus fortes et l'arrivée de nuages bas menaçants chargés de neige. Il faut reconnaitre que ce sont les conditions que nous recherchions. Elles sont idéales pour mettre en valeur ces reliques de la préhistoire et montrer les conditions dans lesquelles ces bêtes réussissent à survivre.
Nous sommes équipés pour supporter les -17 degrés relevés avec notre thermomètre et un ressenti autour de -25 lié au refroidissement éolien : Doudoune grand froid, trois couches thermiques indispensables et cagoule néoprène. Il va falloir supporter ces conditions. Nous chargeons le matériel photo sur le dos et nous partons explorer les lieux pour nous approcher des animaux que Pascal avaient localisés. Le vent redouble d'intensité et une fine neige commence à voler. L'approche s'effectue avec prudence, tant la visibilité devient réduite. Deux mâles sont en train de se jauger avant d'effectuer des simulacres de combat. Pascal a déjà trouvé une position parfaite adossée contre un rocher à une cinquantaine de mètres de deux mâles. C'est à ce moment que j'en profite pour gâcher une grande partie de cette aventure. En tentant de trouver une position plus confortable pour filmer le combat, je glisse sur une plaque de glace avec le 400mm canon de Pascal dans les bras et en voulant protéger le matériel mon épaule heurte violemment un rocher. Bilan, que je ne connaitrai que 10 jours plus tard au retour : entorse acromio-claviculaire avec rupture d'un ligament. Ce n'est pas l'idéal pour poursuivre notre aventure. Malgré tout je décide de rester, nous n'avons pas effectué tout ce voyage pour tout arrêter dès le premier jour. Nous allons nous adapter pour gérer au mieux cet accident.
Le campement à l'entrée d'un vallon
Le photographe en action
Pascal en attente
Simulacre de combat
Une quarantaine de mètres nous sépare maintenant des premiers bœufs musqués et nous essayons de les contourner vers la gauche pour avoir un meilleur angle. Aucun signe de nervosité de leur part, ils nous surveillent du coin de l’œil près à déguerpir au moindre signe de danger. La visibilité ne s'est pas améliorée ce qui donne encore plus l'ambiance "grand nord" à l'effet que nous recherchions. Cela fait près de 2 heures que nous sommes avec eux, la douleur liée à la chute et la faim nous incitent à retourner au campement afin de reprendre un peu de force.
Le lendemain matin après nous être rassasiés de céréales et pris un café bien chaud nous sommes repartis dans la même direction que la veille. Les conditions ont évolué avec le retour du soleil masqué par quelques nuages et un vent plutôt faible. Ces conditions bien qu'agréables ne nous enchantent guère pour l'esthétisme des photos que nous voulions réaliser. Nous recherchions des conditions dignes du climat arctique et indissociables des bœufs musqués bravant blizzard et tempête. Le temps clair nous permet cependant d'explorer le plateau à la recherche d'autres individus. Nous contournons alors une colline pour nous mettre à contre vent puis nous grimpons vers le sommet afin d'avoir une vue panoramique sur une zone bien dégagée. La chance est avec nous, nous sommes en présence d'un groupe de mâles accompagnés de 35 femelles et veaux. Nous les observons pendant plusieurs heures tout en essayant d'immortaliser les meilleures attitudes. J'en profite également pour effectuer quelques rushes qui constituerons la trame d'un documentaire.
Il nous faudra attendre les jours suivants pour retrouver un climat arctique tel que nous l'espérions, avec ses bourrasques de vent à écorner des bœufs musqués et une neige collante à souhait qui vient recouvrir le Qiviut, le poil long qui protège l'ovibos. Encore quelques heures et ces mammifères pourront être confondus avec des rochers. Une fois allongés sur le sol et recouvert par la neige qui voltige dans tous les sens on pourrait aisément les confondre. Nous sommes à la recherche des meilleurs cadrages, des meilleures attitudes, en quête de la photo parfaite qui demeurait dans notre esprit durant notre voyage vers le parc. Ils restent stoïques allongés ou debout pour certains affrontant les éléments déchainés, au contraire des photographes transis par la brusque chute des températures accentué par le vent qui redouble. Mais force est de constater que les photos prises sont à la hauteur de nos attentes et que nos efforts en retour ont été récompensés.
Nous avons réussi notre moisson de photos. Il est temps pour nous de redescendre vers la vallée où nous attend notre véhicule et un confort moins spartiate que nous avions perdu depuis 7 jours. Il n'en demeure pas moins que nous sommes sur un nuage. Loin du bruit et du tumulte de notre quotidien, nous nous sommes immergés dans une nature brute et réconfortante au milieu d'animaux rescapés de la préhistoire et qui nous ont offert une part d'imaginaire.
Dovrefjell restera une des mes destinations préférées, j'y suis retourné une fois seul en hiver et deux fois en automne dont une ou j'ai eu la chance de croiser les derniers rennes sauvages du parc.