Par Laurent Coppin
BANKS 2011 de nouveaux horizons
Cette nouvelle expédition sur la Terre de Banks va avoir une saveur toute particulière. Après avoir réalisé plusieurs stages "Guides Polaires" dans les conditions hivernales au sein de Polarctika, j'ai eu l'aval de Jean-Marc et de Bernard Couturier formateur au sein de la structure pour me lancer seul dans l'aventure polaire. Je vais rester quatre semaines sur cette terre que j'affectionne particulièrement, deux semaines avec Jean-Marc et mes compagnons puis deux semaines seul avant de regagner Sachs Harbour puis Inuvik.
Comme d'habitude c'est depuis Inuvik que nous rejoignons le seul village inuit de la Terre de Banks. Nous sommes le 5 avril, mon retour est prévu le 3 mai. A notre arrivée nous constatons que les températures sont très basses, entre -25 et -30 ce qui contraste de manière importante avec les températures d'Inuvik qui n'étaient que de -17.
Nous faisons le plein d'essence avant de nous engager pour ce nouveau périple. Je vais tracter le double de mes camarades : rations de lyophilisé pour 30 jours, bidon d'essence, réchaud, matériel de survie. et matériel photo. Au départ de Sachs Harbour, cela représentera un poids d'environ 80kg
Progression
Peaux d'ours blancs en train de sécher au village de Sachs Harbour
Campement à l'abri du vent
Nous décidons de prendre la direction de la vallée de la rivière Masik comme il y a deux ans. La richesse de la faune et sa proximité nous avaient impressionnés et nous partions avec l'espoir d'avoir la même chance et les mêmes observations. Je dois dire que nous avons vite déchanté. Les jours de marche se succédaient aux jours de marche sans que la moindre créature daigne se montrer. Par le moindre signe de bœufs musqués, de renards, de lièvre et de loups aussi loin que pouvait porter le regard. Quelques traces par-ci par-là imprégnées dans la neige dure ne nous invitaient pas à l'optimisme, elles dataient de plusieurs jours déjà.
Au bout de quatre jours nous primes la décision de partir plein nord en espérant avoir plus de succès. En plus de cette absence d'êtres vivants, les conditions météorologiques allaient se dégrader. Les températures déjà basses dès notre départ : autour de -30, allaient continuer de descendre. Nous étions maintenant à -36 et un vent fort a commencé à souffler accentuant encore plus la sensation de froid glacial qui nous pénétrait malgré toutes les couches enfilées en plus de la doudoune grand froid. Avec le refroidissement éolien la température ressentie avoisinait les -45. Dans ces conditions il faut prendre toutes les précautions et être extrêmement vigilant. Un froid comme celui-ci peut occasionner des graves gelures. Et avec les mains c'est la tête qui doit être protégée au maximum. Cagoule néoprène intégrale, lunettes de glacier et capuche de doudoune et malgré cela les conditions restent terribles. C'est la première fois que j'ai le sentiment d'être en mode survie. Les -36 je les avaient déjà vécus lors d'un des stages guides polaires près de Saariselkä en Finlande non loin de la frontière Russe mais le vent était absent ce qui rendait supportable ces températures.
Ces conditions pénibles pour les organismes ont duré près d'une semaine et c'est durant cette période que nous avons enfin rencontré nos premiers bœufs musqués. Malheureusement cette rencontre ne s'est pas déroulée comme nous le souhaitions. Nous étions en train de progresser dans un petit vallon depuis quelque temps lorsque nous avons débouché sur une large vallée. Au loin se trouvait un troupeau sur le bas d'une colline. Mais en entrant dans cette vallée un second troupeau que nous n'avions pas localisé se trouvait sur notre gauche. A notre apparition ce fut la débandade et de nombreux jeunes trop petits et à peine sevrés ont eu du mal à suivre le rythme du troupeau. L'un des plus petits ne put rester en contact et fut rapidement distancé. Malgré tous nos effort pour nous montrer les plus discrets nous étions bien conscient que ce petit était perdu sans les adultes, il venait à peine de naitre et portait encore une partie du cordon qui le relié à sa mère.. Il est resté près de nous toute la soirée et durant la nuit, collé à notre tente. Ses bêlements continuels nous fendaient le coeur, nous nous sentions totalement abattus d'avoir provoqué cette situation. Le lendemain matin il nous a péniblement suivi durant une petite heure puis s'est effondré faisant de lui une proie facile pour les loups qui devaient roder à proximité des troupeaux.
Nous nous rendons compte que nous avons perturbé l'ordre établi de la nature en provoquant ce petit drame, la morale de cet événement est qu'il faut toujours être capable d'anticiper et de nous adapter à l'imprévisible, que ce soit au niveau du comportement de la faune ou des situations météorologiques qui peuvent changer à tout moment.
Jeune boeuf musqué avec les restes du cordon ombilical
Troupeau de boeufs musqués sur les flans d'une colline
Mes compagnons se préparent pour leur départ
Trois points qui s'éloignent dans le désert blanc
Seul au milieu de nulle part
Il est temps maintenant pour mes compagnons de continuer leur chemin et de me laisser poursuivre seul comme convenu ce premier périple en solitaire dans le haut arctique. C'est une sensation bizarre qui m'envahit, faite d'un mélange d'euphorie, enthousiasme mais quelque peu teinté d’interrogation et d'une certaine mélancolie. C'est le temps des poignées de mains puis je les laisse partir vers Sachs Harbour. Je m'empresse de monter sur la colline qui dominait notre campement pour apercevoir dans le lointain trois points qui s'estompent petit à petit dans le désert blanc.
Seul maintenant je vais dès à présent mettre en pratique toutes les notions apprisses durant les stages, répéter les gestes qui assurent la sécurité et la survie dans un environnement qui ne laisse aucune place à l'improvisation.
Après avoir fait le point sur mon matériel, je décide de partir explorer les collines avoisinantes à la recherche de traces indiquant la présence possible de la faune sauvage. Les traces de loups sans être nombreuses montrent qu'ils sont bien présents.
Les températures par chance commencent à remonter ce qui est appréciable tant l'organisme a souffert durant ces derniers jours. Le retour au campement après une longue marche va être l'occasion de préparer un repas réparateur suivi de cette première nuit seul. Le vent enfin retombé, dans le duvet j’écoute le silence. Pas un seul bruit, pas une seul avion dans le ciel qui viendrait perturber la totale quiétude de l'endroit. C'est un vrai défi dans notre monde sujet à l'agitation effrénée du quotidien de pouvoir se retrouver dans ce vide. Nous vivons constamment distraits et stressés par le monde extérieur que nous en oublions les bienfaits du silence. Le temps s'arrête, c'est une pose salutaire que de vivre ces instants.
Les jours suivants passèrent en alternant progressions et explorations autour du campement. Par deux fois j'ai rencontré des troupeaux de bœufs musqués en explorant les alentours du camp. Une fois j'ai eu la compagnie d'un renard polaire qui comme moi surveillait les bœufs musqués. Animal beaucoup trop imposant pour sa petite taille il attendait peut-être qu'un vieux mâle s'effondre de vieillesse pour s'assurer quelques repas bienvenus.
Quelques jours plus tard j'ai passé plusieurs heures à admirer le comportement de deux lièvres arctiques joueurs qui ne se sont jamais préoccupés de ma présence. Photos, vidéos effectuées sans qu'il y ait eu le moindre signe de crainte ou autre qui pouvait lui ressembler.
Je restais à proximité de ces deux espiègles dans l'espoir qu'un loup blanc à la recherche d'une proie viendrait écourter leurs jeux. Mais le fantôme de l'arctique se fait bien discret.
Le soleil s'estompe sur la terre de Banks
Lièvres arctiques joueurs
Aujourd'hui 24 avril la journée est particulière belle, le thermomètre indique -28 sans vent et avec du soleil, c'est presque une journée estivale à ces latitudes. J’ai parcouru près de 20km durant la journée et croisé plusieurs fois des traces de loups.
Il est 17h et je juge que la progression a été bonne et décide de monter le camp dans un endroit dégagé avec une légère bosse contre laquelle je décide d’adosser ma tente. J’ai deux possibilité étant donné l’heure, soit je pars en reconnaissance autour de mon campement, soit je reprends des forces immédiatement pour ensuite explorer les alentours. Je choisis la seconde alternative et je mets en route le réchaud pour faire fondre la neige et me restaurer.
Le temps du repas n’a pas excédé les 45 mn, temps nécessaire pour que la neige fonde et que les doses de lyophilisé puissent se réhydrater et ensuite les engloutir.
Il est temps maintenant de remettre la doudoune, les bottes grand froid et de partir en exploration. En sortant de la tente à une dizaine de mètre de celle-ci, je distingue des traces appartenant à ce que je pense être un renard. En me rapprochant, je crains le pire… Oui ce sont celles un loup, le loup blanc. Elles font le tour de la tente, se retrouvent sur la petite bosse juste derrière la tente. Il a pris le temps de me narguer le bougre !!! . Je suis effondré, ce n’est pas possible, il est passé sans que puisse m’en apercevoir. Le bruit du réchaud a couvert d’éventuels sons indiquant sa présence.
Je prends le matériel photo et décide de suivre les traces qui remontent le chemin inverse de ma progression. Une heure après je me résous définitivement à arrêter ma poursuite. Je reste sur une colline à scruter dans toute les directions mais ne vois que ses traces se perdre dans le lointain.
Autant d’efforts, de persévérance à parcourir ces terres hostiles pour le croiser si près sans le voir, c’est à désespérer.
Je suis de retour à Sachs Harbour, mon périple accompli sans avoir eu d'autres désagréments que de rater ce pour lequel j'étais venu. Ça n'enlèvera en rien l'enthousiasme qui m'envahit pour avoir réussi cette première expérience seul. Les conseils, l'abnégation et la passion permettent en fait de réaliser ses propres rêves et connaitre ses propres limites permettant d'envisager avec sérénité d'autres expériences et d'autres aventures.