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Banks 2014 : La quête du loup

Trois ans après ma première expérience en solitaire réussie sur la Terre de Banks, je décide de tenter de nouveau l'aventure. Je reste accroché à cette ile du Grand Nord où la probabilité de rencontrer le loup arctique est importante. Cette terre m'attire toujours autant. Il s’en dégage une plénitude, une sérénité qui donnent plaisir à progresser, qui vous transmettent une certaine euphorie à l'idée de croiser un habitant des lieux. La configuration et la topographie de l'ile en font un environnement qui n'est pas compliqué à traverser. Un relief peu important composé pour l'essentiel de collines, de larges vallées permettant d'avaler les kilomètres.


Mais attention nous sommes dans le haut arctique et les conditions météorologiques sont sans aucune concession. Des températures de -40 °C peuvent survenir à tout moment et des tempêtes peuvent réduire à néant une expédition. Tout geste doit être effectué avec minutie. Les règles de survie doivent être suivies à la lettre, le matériel rangé correctement  et accessible rapidement dans la pulka. Les éléments de sécurité tels que téléphone satellite, GPS et éventuellement balises doivent être à portée de main. Le froid ne pardonne pas et la solitude doit nous faire redoubler de vigilance. Elle met en éveil tous nos sens qui doivent nous permettre d'anticiper le moindre signe de danger. Ce sont les fondamentaux à respecter.


Pour arriver sur la terre de Banks en passant par Inuvik, étape incontournable, il faut prendre un vol Air Canada depuis Paris vers Whitehorse. C'est un long périple de plus de 24 heures qui attend tous ceux qui désirent se rendre dans le Western Arctic canadien. Deux escales sont à prévoir, l'une à Montréal, la seconde à Calgary, parfois Vancouver. Il est 23 heures, heure locale lorsque l'avion se pose à Whitehorse. Il faut y rajouter le décalage horaire ce qui fait une journée de près de 30 heures, de quoi ébranler quelque peu l'euphorie du départ. La nuit est courte au Best Western de Whitehorse (il faut compter 200€ pour une nuit) pas plus de 5h et le vol pour Inuvik le lendemain est à 7h30 avec la compagnie Air North.


C’est dans un vieil Hawker à destination d’Inuvik que l’odyssée commence.  Deux escales  sont prévues : Dawson City, un des hauts lieux de la ruée vers l'or au 19e siècle et OId Crow une communauté des indiens Gwinch'in près de laquelle coule la rivière Porcupine. C'est le grand frisson qui vous gagne lorsqu’on survole le territoire du Yukon et les monts Richarson. On y sent le souffle de l'aventure, le souffle du grand nord, le souffle des grandes étendues vierges.

Jeune boeuf musqué avec les restes du cordon ombilical

Survol des monts Richarson

Le bâtiment d’accueil des passagers à Old Crow

Le bi-moteur Hawker de la compagnie Air North

Survol de la rivière Porcupine

L’avion atterrit en fin de matinée à Inuvik. J'ai prévu deux nuits afin de finaliser les courses et de préparer tout le matériel avant le départ. C’est au centre commercial que j’effectue les derniers achats (Céréales, chocolat et arachides). Le centre commercial est situé dans le centre d’Inuvik sur la Dempster Highway, la route qui part de Whitehorse et qui mène maintenant jusqu'à Tuktuyaktuk sur l’océan arctique, depuis que le dernier tronçon a été construit en 2017. C’est la premier axe canadien qui mène jusqu’à l’océan arctique.



Banks est un peu mon jardin, c'est la 4eme fois que j’y pause les pieds et les skis et toujours avec la même excitation. C’est l’une des iles de l’arctique la plus accessible et où on peut avoir la chance d’observer le loup blanc de Banks (Canis lupus bernardii) qui est en fait une sous espèce du loup gris continental. Il se démarque du loup blanc qu’on trouve sur la terre Ellesmere et au nord du Groenland pas les tâches grises qu’on remarque sur son dos.



 

J’atterris le 30 mars à Sachs Harbour. Il est 14h et J’ai décidé de ne pas perdre de temps. Je m’occupe au plus vite de l’achat de l’essence et d’une bombe anti ours, on ne sait jamais. Je contrôle une dernière fois le chargement de la pulka, chausse les skis et je prends la direction de la rivière Kellet par les hauteurs de Sachs Harbour en longeant la piste d’atterrissage. La remontée depuis le village est une bonne mise en jambe pour chauffer les muscles avec une pulka bien chargée.

Sachs Harbour avec la banquise en arrière plan

La maison de Joe Carpenteur, un ami Inuit de Jena-Marc

Le souffle de la liberté s’empare une nouvelle fois de moi dès que se présente le désert blanc immaculé. J’avance rapidement avec une météo complaisante. J’ai en tête le trajet que je vais effectuer. J’emprunte un itinéraire que je connais bien pour l’avoir foulé en 2011. Jean-Marc m’a conseillé de tirer au nord une fois que j'aurais quitté le lit de la rivière Kellet et de me diriger vers la Egg River une zone où les boeufs musqués sont abondants et la probabilité de voir le fantôme de l’arctique possible.

Les deux premières journées sont déjà derrière moi, et jusqu’à présent je n’ai pas rencontré le moindre animal. Pas de lagopèdes, pas de lièvre, pas de renard. Pour ce qui est des boeufs musqués je suis encore trop proche de Sachs Harbour. Les inuits ont eu l’autorisation de prélever un nombre important d’animaux autour de Sach Harbour et il faudra que je m’éloigne du village d’au moins 60km pour espérer les apercevoir. Les inuits se déplacent avec leurs motoneiges ce qui leur permet de couvrir une plus grande étendue et donc d’atteindre plus facilement les animaux.

Ce paysage constitué de collines douces invite à la méditation, à la sérénité. Je n’ai qu’une chose à faire, profiter de l’instant présent, savourer la solitude et évoluer dans un environnement vierge de toute présence humaine. Fini le stress de la mondialisation, de la cohue, du toujours plus et du consumérisme à outrance. Je ne vis qu’avec ce qui se trouve dans la pulka et je m’en contente. J’aime le grand nord où les traces humaines sont pour ainsi dire inexistantes. Il n’y a plus que soi et la nature.

Cela fait maintenant 5 jours que j’évolue dans ce sanctuaire et je n’ai pas encore eu la chance de croiser un être vivant. La nuit dernière j’ai entendu le chant d’un lagopède non loin de la tente. Mais au petit matin aucune trace du gallinacé hormis quelques empreintes. Ce qui est plus surprenant c’est l’absence totale de boeufs musqués. Quelques traces par ci par là attestent de leur présence ou tout du moins de leurs passages. Pour que le regard porte un peu plus je suis monté sur l’une des collines qui me fait face. J’ai arpenté durant une journée complète le secteur pour tenter de détecter des points noirs sur la neige immaculée. On ne peut se tromper même à une grande distance lorsque l’œil repère un groupe d’ovins. Ovibos Moschatus est en fait un capriné. Je ne désespère pas et demain je reprendrai la progression un peu plus vers le nord en espérant avoir plus de chance.

Après une journée où les kilomètres ont été avalés sans la moindre rencontre, je décide de planter le camp dans une vallée assez large. J’ai comme un pressentiment, quelque chose me dit que l’endroit recèle de présence. A force de côtoyer le grand nord on ressent certaines vibrations, on reconnait ces endroits qui pourraient abriter une espèce particulière.
Le vent s’est levé et la neige court à fière allure devant un soleil en train de perdre de l’altitude. Un parélie fait son apparition ce qui magnifie de belle manière le paysage. Je ne cesse de m’émouvoir devant ce spectacle continuel qu’offre la nature.

Campement sur le lit de la rivière Kellet

Le lit de la Kellet

Paysage de collines

Un lac gelé

    Au petit matin, après une nuit ponctuée de bourrasques assez violentes,  je m’empresse de préparer un petit déjeuner copieux pour gagner au plus vite les collines avoisinantes. Je décide de partir la journée entière en quête de présence animale. Je prépare toutes mes affaires dans le sac photos qui ne me quitte jamais. Je prends 10 barres de céréales pour la journée, des arachides et les éléments de sécurité indispensables : le téléphone satellite, le GPS et, nouveau pour moi cette année, une balise de géolocalisation.


Depuis quelques années j’ai monté une structure qui me permet de travailler avec les collectivités locales, les collèges et les lycées. L’aventure, l’exploration, le grand nord et la quête de soi sont les grands thèmes que j’aborde lors des conférences effectuées dans les établissements scolaires et dans des lieux adaptés destinés au grand public. Cette fois, deux classes d’un collège vont pouvoir me suivre en temps réel, les amis également puisque ma progression est relayée au travers d’un site internet. Ce suivi servira de base de travail lors des conférences à venir.



 

Je prends la direction Nord-est vers des collines qui me tendent les bras. Je me dirige vers un endroit bien précis et je m'empresse de gagner les hauteurs afin d’avoir une vue périphérique plus importante. Mon instinct ne me trompe pas, il me guide à l'endroit idéal. A quelques centaines de mètres j’aperçois     un groupe de caribous de Peary. Ma surprise est d'autant plus grande qu’en règle générale, les caribous restent plus au nord de l’ile et plus particulièrement dans le parc Aulavik le long de la rivière Thomsen. Le parc est interdit à la chasse même pour les inuits. Le caribou de Peary (Rangifer tarandus peary) est le plus petit de la famille des caribous. Il mesure 90 cm au garrot. On le trouve essentiellement dans les iles de l’arctique canadien et Il est classé parmi les espèces en voie d’extinction. D’où ma joie de pouvoir le rencontrer pour la première fois. La nature est bien faite et a horreur du vide, les boeufs musqués étant devenus rares, les caribous ont pris la place laissée vacante et peuvent profiter d'une végétation plus importante.



 

J’en dénombre dix. Effectuer une manœuvre d’approche va être assez compliqué. Les petits cervidés sont à découvert et je n’ai aucune possibilité de me rendre invisible, aucun rocher, aucun creux me permet d’avancer sans me faire remarquer.


 

Je décide tout de même de ramper le plus lentement possible afin de garantir une approche discrète sans les faire fuir. Mais malheureusement c’était sans compter sur la présence d’un individu éloigné du groupe qui m’observait depuis quelque temps très certainement et que je n’avais pas repéré. L’alerte est donnée, il se dirige vers ses congénères en dandinant son arrière train tout en trottant à vive allure. Ce qui a comme effet de faire paniquer le petit troupeau et de le mettre en branle en direction d’une colline à l’opposé de la mienne.
Je ne me risque pas à les suivre, malgré la pause qu’ils viennent d’effectuer. iIs sont bien trop loin et je suis maintenant à découvert pour retenter une approche sans les effaroucher une seconde fois.

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Caribous de Peary

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Caribous de Peary

Mais à peine me suis-je remis de cette improbable rencontre qu’en me retournant je tombe sur 4 lièvres arctiques en train de faire la farandole autour de moi.
Durant près d’une heure j’étais aux premières loges pour suivre le passe temps favoris des lièvres qui se résume à : je t’attrape tu m’attrapes, je cours, je mange et je recommence sans cesse. Prennent-ils le temps de se reposer dans la journée ? J’en doute. Ils doivent profiter à plein temps du retour du jour et de l’arrivée prochaine du printemps. Je me souviens en 2011 avoir vécu un peu le même scénario en compagnie de deux lièvres qui ne se sont jamais préoccupés de ma présence à tel point que par moment j’étais obligé de reculer pour les prendre en photo.

C’est le pensionnaire de l’arctique le moins farouche et qui est sans conteste l’un des plus photogénique.

Je ne sais pas combien de temps je suis resté à observer ces animaux vivre de manière totalement insouciante dans un environnement où la vie peine à se frayer un chemin. C'est un univers fait de froid où les conditions extrêmes sont invivables pour la plupart des êtres humains.

Je reprends le chemin en direction de ma tente quand en contournant une colline lorsque je tombe nez à nez avec quatre nouveaux caribous qui restent figés en me voyant déboucher de nulle part. Chose incroyable nous nous observons mutuellement sans le moindre geste durant une bonne minute avant que les quatre individus décident de continuer leur chemin. Et c’est tout tranquillement qu’ils s’éloignent après s’être rendu compte qu’ils ne risquaient rien.

 

Lièvre arctique

Lièvres arctiques

Caribous de Peary

De retour à la tente je me remémore cette journée d’une richesse insoupçonnable   au moment où j’ai planté la tente. Le soir, avant que le soleil ne passe derrière une colline, un nouveau parélie est venue fêter tous ces instants magiques en ma compagnie avant de disparaitre  à l’approche de la nuit.



 

Il est 7h ce matin, lorsque je décide de prendre le chemin du retour en suivant une autre vallée plus à l’ouest. La météo est complaisante avec moi, malgré un ciel assez bas et quelque peu couvert. Pas un souffle de vent ne vient perturber le silence qui m’entoure. A peine une heure que je progresse lorsque le silence est brusquement rompu par un hurlement. Une plainte dans l’univers blanc qui annonce la présence de celui que j’espérais tant. Mon cœur s’emballe, l’excitation me gagne, il est là, proche et loin en même temps. Impossible de bien localiser la provenance et la direction du hurlement tant le son est étouffé par l’ambiance feutrée. Je scrute à la jumelle la plaine légèrement en contrebas dans l’intime espoir de pouvoir le localiser.



 

Enfin, je le vois sur une petite butte, il est au moins à 300 mètres, Si j’ai eu bien des difficultés à le localiser, lui par contre n’a eu aucun mal. Au travers de la lentille je vois sa tête déjà tournée dans ma direction.
 Loin des stéréotypes de monstre cruel et sanguinaire qui lui collent à la peau et qui nourrissent notre imaginaire, c’est un animal craintif mais curieux.


 

Pour preuve je le vois se mettre en mouvement en prenant ma direction. Il disparait dans une petite dépression avant de réapparaitre à une petite centaine de mètres de ma position. Je suis à genoux près de la pulka, l’excitation est à son paroxysme tant j’espère qu’il vienne me rendre visite à quelques mètres comme cela est arrivé à Jean-Marc. J’ai toujours en tête ce rendez vous manqué en 2011 toujours sur Banks lorsqu’il est passé près de la tente alors que j’étais à l’intérieur en train de préparer le repas.

 

Sa démarche est paisible, il est chez lui, sûr de sa suprématie. Mais soudain son attitude change, il a stoppé sa progression. Je reste immobile et attentif à ses moindres mouvements. Il tourne en rond, revient sur ses pas, s’arrête, puis lève son museau  comme pour humer l’atmosphère en direction de mon dernier campement, à proximité des collines où j’ai rencontré les caribous. A vol d’oiseaux, s’ils sont toujours dans le secteur, ils doivent se trouver à 4 ou 5 kilomètres. Suffisant pour que le loup puisse sentir leur présence. C’est d’un bon pas qu’il prend la direction des caribous à mon grand désarroi. La faim a certainement eu raison de sa curiosité. C’est un mélange de bonheur et de joie mêlée à une certaine frustration qui m’envahit. Si proche et si loin, il faudra que je revienne une nouvelle fois pour je puisse croiser son regard. Je suis fasciné par les loups, encore plus par le loup blanc. Il est emprunt de force, de souplesse, de calme. Il disparait de ma vue, mais reste dans mon esprit. Le partage n'aura duré que 30mn mais suffisant pour éclairer la journée et apporter la satisfaction de l’avoir aperçu.



 

La fin de la journée s’effectuera sans nouvelle rencontre. Et ce sera le cas jusqu’à mon retour à Sachs Harbour.
Dans l’avion qui me ramène vers Inuvik, je me suis mis à échafauder les bases d’une nouvelle expédition sur cette terre qui me fascine toujours autant. Une nouvelle quête du loup s’impose, hormis Ellesmere c’est l’endroit rêvé pour faire face au fantôme de l’Arctique.


Se nourrir d'aventures, d'espoirs, de quêtes c'est le chemin qui mène à une vie passionnante.

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Canis Lupus Bernardi

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Les photos de l'expédition

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